"Comment la «loi HLM» a survécu à la droite" à lire dans Libération

Publié le par Philippe Doucet

J'ai évoqué ce thème plusieurs fois ces derniers mois, Libé propose un grand article qui résume bien la bataille qui s'est menée autour de la loi SRU.








Malgré ses assauts répétés, la majorité n'est pas venue à bout de l'article 55 de la loi SRU, qui fait obligation aux communes de se doter de 20% de logements sociaux. Une disposition très populaire, élevée au rang de mythe républicain.
Par Tonino SERAFINI
Jeudi 13 juillet 2006
Il est 19 h 30, ce 30 mai 2006, et l'Assemblée nationale vient de suspendre sa séance. Le ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, et une trentaine de députés du groupe UMP se retrouvent salle Colbert. Il y a urgence, la droite est prise à son propre piège. Elle s'est mise une nouvelle fois en tête de vider de sa substance l'article 55 de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbains), qui oblige toutes les communes à atteindre un quota de 20 % de HLM pour favoriser la mixité sociale. Mais la majorité est à la peine : l'opinion y est hostile (1). Les associations de lutte contre les exclusions ou oeuvrant en faveur du logement des défavorisés ont fait connaître leur opposition et cassé leur tirelire pour publier dans la presse un appel à «Mesdames et Messieurs les Parlementaires». «Si le mot inégalité ne vous fait pas tressaillir, peut-être serez-vous plus sensibles au mot injustice. [...] Ne touchez pas aux 20 %», écrivent les signataires, dont la fondation Abbé-Pierre, le Secours catholique, Habitat et humanisme, la Fédération d'entraide protestante, la Ligue des droits de l'homme, Médecins du monde, ATD Quart Monde ou les Restos du coeur... L'Union sociale pour l'Habitat (ESH), qui fédère tous les organismes de HLM, est également défavorable à toute modification de la loi. Dans ces milieux, on souligne qu'en Ile-de-France, plus de 50 % du 1,1 million de logements HLM sont situés dans 9 % des communes. Des instances reconnues, comme le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées ­ présidé par Xavier Emmanuelli, l'ancien ministre de Juppé chargé de l'Action humanitaire ­, fait connaître son hostilité. L'Evêque de Lyon participe à une manifestation organisée par Habitat et humanisme.
70 % des ménages éligibles aux HLM 
Déjà, au Sénat, cette tentative de détricotage s'est soldée par un fiasco : des sénateurs UDF comme Michel Mercier ou Valérie Létard ont convaincu leurs collègues centristes de refuser de toucher aux quotas des 20 %. Leur groupe a voté avec la gauche pour faire avorter l'offensive orchestrée, de l'Assemblée, par le député UMP des Hauts-de-Seine Patrick Ollier.
Mais de tous ces avertissements, l'UMP n'a que faire. A l'heure où le texte revient en seconde lecture au Palais-Bourbon, elle persiste, forte de sa majorité absolue. Ollier, président de la commission des Affaires économiques, tient à son amendement au prétexte que certains accédants à la propriété ne sont pas plus riches que des locataires HLM. Le ministre de la Cohésion sociale est débordé par sa majorité parlementaire. Mais cette méthode aux forceps suscite malgré tout des remous au sein du groupe. Et la réunion salle Colbert a pour objectif de désamorcer une nouvelle crise après l'épisode calamiteux du CPE.
Parmi les présents, figurent le sarkozyste Pierre Méhaignerie ­ député UMP d'Ille-et-Vilaine et ancien ministre du Logement ­ et Etienne Pinte, député-maire UMP de Versailles, tous deux hostiles à l'idée de toucher au quota de 20 %. «Il y a des besoins pour les démunis, mais aussi pour la petite classe moyenne qui peine à se loger dans le privé. Faute de moyens, beaucoup d'employés municipaux de Versailles habitent Chartres ou Dreux et font la navette tous les jours», souligne Etienne Pinte Plus politique,  Pierre Méhaignerie  insiste sur les dangers de l'entêtement, pointe le risque de saper le bilan du ministre de la Cohésion sociale, seul jugé présentable par la droite elle-même, avec le programme de rénovation urbaine, les emplois aidés, la baisse du chômage et les services à la personne. «J'ai dit à cette réunion : "La loi Engagement national pour le logement de Jean-Louis Borloo est une bonne loi. Mais l'amendement Ollier va tuer le message en remettant en cause les 20 %. On risque de briser un bilan"», raconte Méhaignerie. Parmi les opposants à l'amendement figure aussi Jacques Pélissard, député UMP du Jura et président de l'Association des maires de France (AMF). Au bout de deux heures de débats, la décision est prise : l'amendement Ollier est retiré.
La dernière tentative de la droite pour dénaturer l'article 55 de la loi SRU a fait long feu. Et probablement pour longtemps. Ce qui s'est joué ce jour-là salle Colbert, c'est la reconnaissance implicite, par les élus de droite, de leur impuissance à aller à contre-courant d'une mesure qui s'est imposée comme un symbole de justice sociale, un levier pour contrebalancer les inégalités, la preuve aussi qu'une action publique volontariste pouvait être efficace quand 70 % des ménages français sont éligibles au logement social.
Le droit de préemption dévoyé 
Ce nombre de 20 % est devenu un repère, une référence, une sorte de baromètre pour mesurer la volonté des collectivités locales d'accueillir toutes les classes sociales sur leur territoire. L'article 55 de la loi SRU relève d'une construction législative au long cours. On trouve ses prémices dans la loi Besson du 31 mai 1990, visant à améliorer l'accès au logement des personnes défavorisées. Nommé en 1989 ministre délégué au Logement dans le gouvernement Rocard, le socialiste, Louis Besson a une longue expérience d'élu local à son actif. Maire de Barby (Savoie) pendant vingt-cinq ans, il a fait passer cette commune de l'agglomération de Chambéry de 300 à 3 000 habitants en veillant à en faire un exemple de mixité sociale. Avant de prendre à la droite la mairie de Chambéry. «Lorsqu'il est arrivé au ministère, Besson était très remonté contre les égoïsmes locaux», témoigne Christian Nicol, conseiller technique à son cabinet et aujourd'hui directeur du logement à la Ville de Paris. «Besson disait : "La France compte 36 000 communes mais il ne saurait y avoir 36 000 Républiques." Sous entendu : les communes ne peuvent s'affranchir de l'intérêt général, notamment sur la question cruciale du logement.» 
Témoin direct des égoïsmes locaux, Louis Besson raconte : «Lorsque j'étais maire de Barby, seules quatre communes sur les quinze de l'agglomération de Chambéry construisaient du logement locatif social.» Sans que les autorités de la République ne s'en émeuvent. «Les administrations d'Etat ne recevaient aucune instruction pour inciter les élus à construire des villes mélangées. On ne pouvait pas compter sur une orientation de l'Etat en faveur de la mixité sociale.» 
Pire. A l'époque, lorsqu'un organisme de HLM tentait d'acheter des terrains à bâtir dans des villes peu pourvues en logement social, certains maires utilisaient leur droit de préemption urbain pour empêcher l'opération. «J'avais été alerté de ces procédés par André Chaudières [aujourd'hui décédé, ndlr], qui fût le premier président de la fondation Abbé-Pierre, se souvient Besson . Il avait un projet de résorption d'un bidonville de travailleurs migrants en Provence en partenariat avec des bailleurs sociaux. Mais lorsqu'il trouvait une parcelle, il se heurtait à cet usage dévoyé du droit de préemption.» Pour mettre fin à ces dérives, l'article 14 de la loi du 31 mai 1990 ­ la fameuse «loi Besson» ­, interdit le droit de préemption contre des projets de construction de HLM «dans les communes où l'ensemble des logements locatifs sociaux [...] représente moins de 20 % des résidences principales» . Les 20 % apparaissent pour la première fois dans une loi de la République. Pourquoi 20 % ? «Parce que cela correspondait à la moyenne des logements sociaux dans les grandes agglomérations, en sachant que des communes en comptent plus de 50 % et d'autres zéro», répond Christian Nicol.
Révoltes urbaines 
Mais la loi Besson se limite à corriger des dévoiements. L'obligation de réaliser des HLM pour les communes déficitaires viendra plus tard avec la LOV (loi d'orientation pour la ville), adoptée en juillet 1991. Depuis une dizaine d'années, la France est aux prises avec des révoltes urbaines récurrentes. Les banlieues se révoltent en région parisienne, à la périphérie lyonnaise ou à Roubaix. La crise économique a accentué la ségrégation urbaine. D'anciens quartiers populaires sont devenus des lieux de relégation pour familles en difficulté. La LOV est une bouée pour le modèle social français, fondé sur la société du vivre ensemble. Michel Delebarre, alors étoile montante du PS, est nommé ministre d'Etat chargé de la Ville. C'est lui qui défendra devant l'Assemblée cette loi qui oblige toutes les villes à atteindre un quota de 20 % de HLM. Pas question de reproduire des tours et des barres, mais de construire des petits immeubles bien intégrés au tissu urbain.
Mais la LOV est assez souple : elle privilégie la contractualisation et le partenariat entre l'Etat et les villes déficitaires en HLM sur la base de plans de rattrapage triennaux. «On était dans la créativité législative. On tâtonnait. On hésitait à imposer aux communes des contraintes trop fortes. On redoutait la censure du Conseil constitutionnel au nom de la libre administration des collectivités territoriales», affirme Christian Nicol. Alors que la LOV commence à produire des résultats mitigés, la droite, de retour au pouvoir avec Balladur (1993-1995), la vide de sa substance : les accédants à la propriété sont intégrés au quota des 20 %, afin de permettre aux communes concernées d'échapper aux HLM ­ c'est d'ailleurs ce même artifice que tentera d'utiliser plus de dix ans plus tard Patrick Ollier.
«Contribution de solidarité» 
Tout est à refaire. Il faudra attendre décembre 2000 pour que la loi SRU soit votée à l'initiative du gouvernement Jospin. Cette fois, c'est Jean-Claude Gayssot [ministre PCF de l'Equipement et du Logement] et son secrétaire d'Etat Louis Besson qui sont aux manettes. «Il fallait revenir aux 20 % et tirer les enseignements des insuffisances de la LOV», témoigne Louis Besson. La loi SRU institue une amende de152 euros par logement HLM manquant dans les villes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) qui ont un quota de logement social inférieur à 20 %. Objectif : les inciter à construire. Pour échapper à la censure du Conseil constitutionnel, les députés ont joué avec les mots. Les communes visées payent une «contribution de solidarité». 
Après son retour au pouvoir, la droite se met, en novembre 2002, une nouvelle fois en tête de défaire le dispositif. La proposition de loi d'un groupe de sénateurs est adoptée à la hussarde en première lecture à la Haute assemblée. L'affaire en reste là. Veto de l'Elysée. En 2006, le Président, en fin de règne, étant affaibli, Ollier fait une ultime tentative. Mais la droite recule à nouveau. «L'article 55 fait désormais partie du patrimoine législatif qui survivra à toutes les alternances politiques», analyse Thierry Repentin, sénateur PS de Savoie, qui a beaucoup oeuvré pour convaincre les centristes de s'opposer à l'amendement Ollier. Pour le sénateur UDF Michel Mercier, l'UMP a échoué, car elle a tenté de s'attaquer à «une loi qui est devenue un mythe républicain» .
(1) Un sondage Nexity-TNS Sofres réalisé en janvier 2006 auprès de 1 000 personnes montre que 64 % des interrogés jugent «efficace» l'obligation de réaliser les 20 % de HLM dans chaque commune. 68 % des 400 maires sondés dans la même enquête jugent «efficace» l'article 55 de la loi SRU.

http://www.liberation.fr/transversales/grandsangles/193048.FR.php

Publié dans Argenteuil

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